Temps de lecture : 4’. Avec les exemples et cas : 9’
Comment attirer les talents
dans une entreprise
ne se concevant pas créatrice ?
De plus en plus de dirigeants
sont dans la création.
Trois quart du temps,
créatif ?
Effectuer
une veille contextuelle
créative.
Puiser ses inspirations
dans les
nouvelles pratiques sociales.
Vers des stratégies créatives.
Et des exécutions
tout aussi créatives.
A chaque dirigeant
sa voie
pour devenir plus créatif.
Travailler sa forme créative,
tout autant que
sa forme physique.
Pour un développement de ce point, lire l'article
Les trois freins à la création dans l'entreprise.
Pour un développement de ce point, lire l'article
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auteur: Jessica Scale
Les dirigeants d'entreprise
et la création
Ils ont pour mission de créer de la valeur. Cette familiarité avec la création donne aux dirigeants toutes les armes pour leur mission à l'ère digitale : transformer leur organisation en entreprise créatrice.
L’entreprise n’est pas, naturellement, un espace de création. On pourrait même dire le contraire.
Les dirigeants, exténués par les résistances et les forces d’inertie dans leur entreprise, sont pour beaucoup convaincus que la création ne peut se développer qu’à l’extérieur de l’entreprise.
D’où le choix de certains PDG d’investir dans des cellules digitales ou des « hubs » entrepreneuriaux délocalisés de l’entreprise. D’où le recours systématique à des agences externes de communication et de marketing digital, de la part des directeurs communication et marketing. D’où l’association avec des petites cellules de recherche ou de design indépendantes ou des startups prudemment tenues à distance de l’entreprise, pour les directeurs de l’innovation et du développement. D’où les hackathons d’étudiants organisés par les directions métiers, avec, ou contre, les directeurs des systèmes d’information.
L'alternative à l'externalisation de la création, parfois choisie par des dirigeants, est l’embauche à grande échelle de moins de 35 ans, ces jeunes qui n’ont pas encore été pollués ou anesthésiés par l’entreprise. Mais quand ceux-ci fêteront leur 36ème anniversaire, que les employeurs se proposent-ils d’en faire ? Et surtout, si l’entreprise ne se pense pas créatrice, comment veut-t-elle attirer les nouveaux talents du digital ?
Le premier impératif pour devenir une entreprise créatrice est de cesser de se penser comme un espace stérile en matière de création. Et pour son dirigeant de se penser comme tout, sauf créatif.
Un dirigeant de la « vieille économie » reconnaît souvent avec difficulté qu’il doit impérativement exercer davantage sa créativité. Cette conception s’oppose à un siècle de développement de la fonction de dirigeant d’entreprise. Cela s’oppose à sa formation, à ses trente ou quarante ans de carrière, à sa perception des qualités qui l’ont mené-e à occuper son poste de dirigeant. Le seul aspect où il ou elle se reconnaît, ou aspire à être, créateur est dans le domaine de la création de valeur.
Modifier cette conviction si profondément ancrée dans la tête des dirigeants aujourd’hui requiert un travail approfondi, et surtout extrêmement… créatif ! Mais les progrès sont déjà perceptibles et les plus grands dirigeants de la « vieille économie » accomplissent leur révolution copernicienne dès à présent. Outre mes échanges avec des dirigeants, j’en veux pour preuve les redéfinitions actuelles d’identité d’entreprise.
Les constructeurs automobiles ne sont plus des fabricants de voitures, ils veulent être des fournisseurs de mobilité, ou de sensations, ou de statut. La vocation des groupes hôteliers n’est plus de vendre des nuitées (ou de gérer un parc immobilier), ils se réinventent en fournisseur d’hospitalité, d’occasions de socialisation, d’expériences qui viennent du cœur. Les sociétés de restauration collective n’ont plus pour mission de servir des millions de repas quotidiennement, elles se définissent comme offreur de moments privilégiés ou faiseur de bonheur au travail.
Il est tentant de ranger ces nouvelles définitions dans la longue suite des positionnements successifs des entreprises, qui connaîtront le même sort que leurs prédécesseurs. En réalité, ils témoignent d'une profonde révolution culturelle. Pour définir une identité en phase avec le digital, ces entreprises abandonnent une mission rationnelle - produire et vendre des objets ou des services -, ou une ambition compétitive - devenir le leader de… -, pour une définition d’abord émotionnelle. Le dirigeant n’a pas nécessairement initiée lui- ou elle-même la nouvelle définition de la mission d’entreprise. Il ou elle l’a évidemment validée. Et se l’est appropriée pour en faire le cœur de sa communication. Il ou elle, autorise, pour la première fois dans l’histoire, l’émotion à entrer dans l’entreprise. Et par la grande porte. L’émotion étant un paramètre indispensable de la créativité, le dirigeant est en train d’intégrer la création au futur de l’entreprise, d’en instiller les gènes dans son ADN.
La contrainte de temps est mise en avant par certains dirigeants pour éliminer la possibilité de développer leur créativité. J’étais, il y a encore peu de temps, dirigeante d’une entreprise de 10 000 salariés. Je n’aurais pas qualifiées de créatives la plupart de mes activités quotidiennes. Une étude de McKinsey de juillet 2016, « Where machines could replace humans – and where they can’t (yet) » (lire), m’oblige à reconsidérer cette perception. Les auteurs indiquent, sur la base d’une recherche extensive, qu’environ un quart des tâches actuelles des CEOs peuvent être automatisées avec des technologies existantes. Les auteurs citent parmi celles-ci l’analyse de rapports et de données, la revue des rapports d’activité, la préparation et la prise de certaines décisions opérationnelles…
J’en conclus que les trois-quarts de mes activités d’alors étaient donc… créatifs. En tout cas, potentiellement. Ce qui ne peut pas être automatisé, au moins d’ici au moyen terme, sont les activités qui comportent, outre des capacités rationnelles, une part significative d’émotionnel. Et c’est précisément la combinaison de pensée analytique et de pensée intuitive qui ouvre sur la création.
Parmi ces tâches potentiellement créatives, il y a le management des hommes, les relations avec les clients et les interactions humaines avec toutes les parties prenantes de l’écosystème. Egalement, la décision dans un environnement complexe, qui, une fois les données et les faits essorés, ne se prend que sur la base de l’intuition et de la conviction – ou du pari. La veille concurrentielle, sur laquelle une part du cerveau des dirigeants reste perpétuellement éveillée, constitue elle aussi potentiellement une activité créative.
En fait, cette veille ne devient créative qu’à condition de s’élargir en veille contextuelle.
C’est par un concours de circonstances – mes activités extra-professionnelles d’enseignement en matière de stratégie – que j’ai repéré un phénomène naissant au tout début des années 10, qui menace aujourd’hui une part du business des sociétés de services technologiques B2B. A savoir, l’autonomisation grandissante des directions marketing à l’égard des budgets et du contrôle des directions informatiques. L’apparition de nouveaux acteurs digitaux, tel Salesforce, qui en moins de 5 ans a tué le florissant business d’intégration de lourds logiciels de CRM. L’invasion, sur la chasse gardée des sociétés de services technologiques, des groupes de publicité, tels Publicis ou Ogilvy. Maintenant concurrencés par ceux des acteurs de ce secteur qui ont su se réinventer, tel Accenture avec Accenture Digital et Accenture Interactive.
Aurais-je perçu les premiers signaux de ce phénomène, qui s’étend maintenant à d’autres métiers, à l’aide de ma seule veille concurrentielle habituelle ? Il est certain que non.
On le sait, le digital permet à de nouveaux entrants créatifs de bouleverser rapidement toutes les positions acquises – avec un coût d’entrée souvent ridiculement bas. Restreindre sa veille concurrentielle à ses concurrents traditionnels est le meilleur moyen de ne pas voir venir la prochaine menace.
Avoir seulement un œil sur les succès de ses concurrents traditionnels n’a pas permis à l’industrie musicale de voir venir la rupture de la musique en ligne. A l’industrie hôtelière de réagir rapidement à l’apparition des Booking.com, TripAdvisor et autres Airbn’b. De même pour l’industrie des médias, des télécommunications, des transports, de la distribution … Demain, au tour de l’industrie banque-assurance d’être secouée par les acteurs de la Fintech, parce qu’elle n’aura pas voulu les voir venir ? Aux industries de la santé, de l’éducation, aux industries de services, qui n’auront pas suffisamment considéré les nouveaux intermédiaires, les objets connectés et les plateformes de marché ?
Le digital encourage aussi les entreprises dynamiques à élargir leur territoire au-delà des frontières classiques de leur industrie. La nouvelle menace concurrentielle viendra peut-être de votre client, ou de votre fournisseur… La veille d’hier doit donc devenir une veille contextuelle créative. C’est-à-dire large, ouverte, imaginative. Et pas seulement focalisée sur les tendances des entreprises.
Un petit tour à la Silicon Valley ou son équivalent à Singapour, Séoul ou Tel-Aviv peut s’avérer très utile pour dessiller les yeux des comités de direction encore trop fermés aux ruptures à venir du digital. La veille contextuelle du dirigeant, quant à elle, ne peut se limiter aux innovations des acteurs économiques. Les nouvelles pratiques dans la société constituent tout autant des menaces – ou des opportunités – pour leur modèle économique.
Un exemple : 2016 est l’année de séparation des eaux sur une pratique sociale clé pour beaucoup d’industries. Professionnel ou particulier, nous passons dorénavant autant de temps à interroger Internet par le biais de notre ordinateur qu’au moyen de notre téléphone (que nous consultons en moyenne 125 fois par jour). Ceci modifie fondamentalement notre consommation d’Internet. Au lieu de « séances » sur Internet, au lieu de « visites » d’un site pouvant se prolonger jusqu’au quart d’heure, nous consultons pour moitié par « moment ». Pour avoir l’information nécessaire, là, juste maintenant, en quelques secondes, lors d’une question posée en réunion interne, dans la salle d’attente de son client, lors d’une course en taxi, chez son garagiste ou au supermarché.
Cette modification très rapide de nos habitudes n’a pas échappé à Darty. L’enseigne a constaté que ses clients à la plus forte valeur consultaient Internet avant leur venue en magasin, et le consultaient encore dans le magasin même. Elle a installé le wi-fi dans tous ses points de vente physiques, dote ses vendeurs d’appareils connectés, accentue la visibilité de certaines informations sur ses sites. Avant de faire procéder à une étude approfondie pour mesurer l’impact de ce nouveau comportement, puis d’investir pour en tirer bénéfice, quelqu’un chez Darty a eu l’idée de se poser la bonne question. Peut-être lui est-elle venue alors qu’il ou elle consultait son téléphone à la recherche de sa prochaine voiture ? Ou en regardant faire ses amis en vacances ?
Pour créer de la valeur à l’ère digitale, vivez dans le réel – c’est ma première recommandation aux dirigeants d’aujourd’hui.
Dans le temps potentiellement créatif d’un dirigeant, il lui reste à insérer, outre les relations, la prise de décision et la veille contextuelle, la définition de la stratégie de l’entreprise et le pilotage de son exécution. Dans la « vieille économie », l’exercice stratégique était devenu de moins en moins créatif. La majorité des entreprises se reposait sur un processus annuel, en fait de la simple planification stratégique ou comptait sur un séminaire « au vert » tous les 2 ou 3 ans. Sans parler des directions générales qui externalisaient l’effort stratégiques vers des sociétés de conseil spécialisées.
Il est évident que ces routines sont devenues peu efficaces dans le monde d’aujourd’hui. Les menaces de disruptions apparaissent à un rythme soutenu, les nouvelles opportunités surgissent inopinément. D’inédits impératifs s’imposent, qu’il convient de sonder pour déterminer s’ils sont autre chose que la dernière idée à la mode. Les options majeures d’investissement – ou de désinvestissement - se multiplient et se diversifient. Les projets lancés en grand nombre émettent des signaux prometteurs, dont on doit tirer d’immédiats enseignements, ou s’avèrent une impasse et doivent être discontinués.
Parmi les dirigeants qui ont sérieusement décidé d’actualiser leur exercice stratégique, je discerne deux grandes tendances. Si elles semblent s’opposer, elles donnent toutes deux une place prééminente à la créativité.
La première option est fondée sur la conviction que, dans un monde incertain qui bouge très vite, où le prochain désir des consommateurs est imprédictible, la frontière entre stratégie et tactique s’estompe jusqu’à disparaître. C'est plus souvent le fait de dirigeants d'entreprises agissant sur un marché B2C et de culture commerciale.
Il s’agit alors de fixer la direction stratégique d’ensemble, accompagnée de nouveaux critères, normes et indicateurs pour cadrer un développement tous azimuts dans cette direction. La créativité stratégique est collectivisée (ou « crowd-sourcée »). Elle appartient à l’ensemble de l’organisation. La meilleure idée peut surgir de n’importe où, n’importe quand. La réalisation de l’idée, quant à elle, nécessite tout autant de créativité. Les dirigeants partisans de cette option veillent à recruter de nouveaux talents, souvent en masse. Ils cherchent à stimuler la liberté d’entreprendre en interne. Ils installent des gouvernances à de multiples nœuds de l’organisation, afin de favoriser des prises de décision rapides, créatives et intelligentes. Pour sécuriser ce choix, ils s’engagent dans un profond travail de diffusion de la créativité dans toute leur organisation. Et s’assurent de rester eux-mêmes en pleine forme créative.
L’autre convistion est généralement dictée par la lourdeur des investissements dans l’industrie concernée. Cette dernière opère plus souvent sur un marché B2B avec une culture avant-tout technique. Elle donne lieu à une exploration stratégique systématique. Mais sous des dehors analytiques approfondis, elle exploite à peu près toute la palette des techniques de créativité.
Mobilisés par les disruptions du digital, ces dirigeants initient un profond travail stratégique, généralement étalé sur plusieurs mois. Ils élargissent l’analyse stratégique pour y englober de multiples experts et acteurs d’autres industries. Ils font appel à des scientifiques et des sociologues. Ils consomment une masse considérable de données, qu’ils explorent dans toutes leurs dimensions. Ils se posent des questions jamais considérées jusque là. Ils travaillent sur des scénarios à dix, vingt ou trente ans. Ils font procéder à de nombreuses simulations des dérivées possibles. Et une fois la vision définie et la stratégie formulée, ils investiguent systématiquement les conditions de succès et les risques, dans le but établir un pilotage pointu et adaptatif de l’exécution stratégique. Car ils sont parfaitement conscients que c’est sur cette priorité que leur intelligence rationnelle et intuitive va désormais être focalisée.
Deux évolutions opposées de l’exercice stratégique, une même prévalence de la créativité, dans l'élaboration comme dans l'exécution.
Dans chacune des tâches concourant à la mission de dirigeant d'entreprise, la création devient essentielle. La capacité à créer, dans sa manifestation expansive comme dans son expression austère, constitue un attribut décisif pour diriger à l’ère digitale. Lorsqu'ils élaborent les plans de succession ou cherchent un nouveau dirigeant, les conseils d'administration ne peuvent plus se demander : "Nous faut-il un dirigeant créatif ?". La question se formule plutôt ainsi : "De quel type de créativité le dirigeant de notre entreprise doit-il faire preuve ?".
Pour répondre à cette nouvelle donne, les dirigeants les plus avancés travaillent, non seulement leur image de patron créatif, mais également leur forme créative. De la même façon que depuis deux ou trois décennies, les dirigeants exercent leur condition physique, indispensable pour diriger dans la complexité. Forme physique comme forme créatrice, chacun a sa voie pour les développer.
L’enjeu est le même : disposer de toutes ses capacités créatives pour piloter son entreprise. Avec deux priorités. La première est d'adapter l'organisation, le mode de fonctionnement et les outils aux besoins de l'ère digitale. Autrement dit, lever les freins à la création enracinés dans son organisation. La deuxième priorité est de mobiliser les collaborateurs et partenaires vers la création de nouveaux marchés porteurs, de nouveaux produits et services rentables, d'excellentes expériences clients, d'inédites améliorations opérationnelles. Pour y parvenir, le dirigeant dispose, sans toujours le savoir, d'un très puissant levier de création. C'est aujourd'hui un trésor caché dans toutes les entreprises.
Les dirigeants gagnants seront ceux qui sauront le découvrir, le libérer, le maîtriser.
© 2016 by Digit Fit.
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